Juillet 2019, j’ai voulu toucher du doigt, et de la main, une grande tradition de massage : quatre jours de formation en Nuad Bo Rarn, le massage traditionnel thaïlandais. Un massage habillé, qui conjugue acupressions et étirements selon une chorégraphie et une gestuelle plurimillénaires.
J’avais choisi de sortir de ma zone de confort. C’est réussi : habitué à masser des corps dénudés, sur table, avec de l’huile, me voici qui me retrouve à masser des personnes habillées, par terre et sans huile. Je suis donc contraint de me réapproprier des techniques de déplacement que j’avais abandonnées depuis mes premières escapades à quatre pattes, ou, plus récemment, depuis la pose du revêtement de sol de ma salle de massage… je redécouvre mes genoux et la raideur de mon bassin. J’apprends à mes dépens qu’il convient d’être économe dans les changements de postures, car chaque mouvement au sol exige d’insulter la pesanteur et de dénouer des muscles qui rechignent. Cela étant, et comme je ne suis pas né de la dernière bruyère, je pige rapidement qu’il faut de l’inconfort faire un avantage : mon poids est désormais le prolongement de ma main et l’ami de mon geste ; mes déplacements en appui se font points de pression, empaumages et patounages ; mes retours arrières deviennent des effleurages. Je réalise que mes chats m’ont déjà beaucoup appris.
Notre formateur est un occidental. Il est par conséquent beaucoup, beaucoup, beaucoup plus bavard et souriant que la masseuse de la vidéo de massage thaï que j’ai exhumée de ma bibliothèque avant de partir. Pour autant, je perçois rapidement que faire une heure trente de massage en se balançant d’une main sur l’autre au même rythme que Dustin Hoffman dans Rain Man, lorsqu’il compte ses allumettes, ne prédispose ni à la communication ni à la vigilance intellectuelle. Cela tombe bien, car de toute évidence, il n’est pas attendu de moi autre chose que d’appliquer à la lettre un protocole qui ne fait sens que dès lors qu’il est prodigué dans son ensemble. Pour autant, me voici en terra cognita : ayant fait mes premières armes en massage ayurvédique, je sais que parfois l’intension s’exprime en une somme de gestes organisés en une chorégraphie immuable. Ainsi, si pour certain masser consiste à étirer un extenseur, puis un autre, puis un autre, ici le geste consiste à travailler tout le corps durant une heure trente… chacun a les intensions qu’il peut. L’occidental s’échine à travailler la souplesse d’un muscle ; l’oriental masse tout à la fois un corps, une bulle énergétique et une vie. Tout un programme.
Autre spécificité du massage thaï, me voici reconverti en machine à étirer. Je m’improvise prof de yoga qui, alliant le geste à la parole, prend son sujet à bras le corps et lui applique toutes sortes de contorsions : manipuler une cheville, étirer un mollet, imposer une posture en cobra, enrouler un dos, vriller une colonne vertébrale… au final, mon modèle aura reçu une séance de stretching pour le moins musclée et durant laquelle je ne cesse de m’interroger sur le degré de résistance des matériaux qu’il m’est donné de martyriser. Ceci d’autant que mon modèle, une masseuse en formation, comme moi, est tendue et n’accepte pas de subir des manipulations qu’elle ne contrôle pas. Me voici donc au cœur du sujet : ce massage n’est pas un univers de tendresse. Il faut accepter de se mettre dans la peau d’un drap de coton à l’époque où les lave-linge n’existaient pas : passage à la lessiveuse, battage au lavoir, rinçage au torrent et étendage plein vent. Voici pourquoi notre formateur a pris soin de nous préciser que le massage thaï est contre-indiqué en cas d’ostéoporose ou d’arthrite… Ce qui ne manque pas de me laisser rêveur : ce massage ne serait donc pas fait pour celles et ceux qui en ont le plus besoin !
Quatre jours plus tard, mon formateur m’assure que je suis désormais de taille à tailler du thaï. Pourtant, je demeure sur le sentiment que six mois de formation supplémentaires ne seraient aucunement de trop. Abordé ainsi, tel une chorégraphie, l’enseignement du massage thaï m’apparaît assez pauvre. Ce beau massage, très complet, nécessiterait d’être envisagé comme un univers en tant que tel. Il ne prend son sens que s’il est mis en perspective avec une naturopathie ancestrale et une vision holistique de la santé. Il mériterait également de travailler longuement la science du geste… ce n’est pas pour rien qu’il se pratique sur tatami.
Le massage Thaï en 10 mots : Acupression. Technique centrale dans le massage thaï, le travail en pression des pouces est appliqué sur des axes à la fois physiologiques et énergétiques, selon une logique s’apparentant à l’acupuncture. Une approche cependant plus grossière car obscurcie par la présence du vêtement. Chorégraphie. Certes, improvisation et inspiration demeurent envisageables… mais de toute évidence ce massage ne fait sens que dans sa globalité. Il invite donc à respecter une chorégraphie assez stricte afin d’être sûr d’appliquer ce qui doit l’être à chacune des zones du corps. Empaumage. Le massage thaï se pratique sur un sujet habillé. De ce fait, il n’autorise pas le malaxage. Ce sont donc les pressions exercées avec la paume de la main qui deviennent le geste de base. Comme le receveur est au sol, le masseur peut évoluer à la verticale de son bras tendu et imprimer à son geste toute la puissance du poids de son corps. Énergétique. La dimension énergétique du massage thaï se traduit par des gestes d’acupression appliqués sur les principaux axes des membres et de la colonne vertébrale. Ces pressions, réalisées avec un ou deux pouces, sont le plus souvent en cohérence avec les méridiens énergétiques et les gestes pratiqués en shiatsu. Étirements. C’est sans nul doute la spécificité du massage thaï que d’inclure des gestes de mobilisation de recevant. Ces étirements s’apparentent à un yoga appliqué par le masseur et concernent toutes les parties du corps : mains, pieds, bras, jambes, dos… Quelques gestes sont à la limite de l’ostéopathie et demandent à être pratiqués avec discernement. Habillé. Le tourisme sexuel et certaines officines de nos centres urbains ont largement dévoyé l’image du massage thaïlandais. Tout au contraire, le massage thaï traditionnel se pratique sur un modèle habillé. Ce qui en fait une des techniques les plus pudiques qui soient, et une solution alternative au massage assis pour des interventions sur textile, en entreprise ou institution. Holistique. Le massage thaï ne prend son sens que dans une approche holistique. Les effets recherchés sont plus globaux que ciblés. Le geste du masseur n’est pas destiné à s’arrêter sur des détails anatomiques. Il s’intéresse aux effets génériques qui résulteront de l’application de tout un protocole. Pattes de chat. Variante du travail en pressions verticales, la patte de chat se distingue de l’empaumage en ce que les mains travaillent de façon alternée. Le masseur bascule son poids d’un bras à l’autre, ce qui lui permet par ailleurs d’effectuer des repositionnements sans perdre le contact avec le massé, et tout en gérant le déplacement de son centre de gravité. On pourra regretter que, contrairement à un chat, le masseur ne peut travailler qu’avec deux pattes. Précautions. Attention, dans ce massage, le masseur utilise parfois tout son poids, ou la force de ses jambes. Il peut également effectuer des étirements durant lesquels le massé perd le contrôle des forces qu’il reçoit. Le masseur doit donc agir avec prudence et discernement en prenant en considération la puissance, la résistance et la souplesse du receveur. Sol. Le massage au sol peut apparaître comme un inconfort, tant pour le massé (le tapis doit demeurer ferme) que pour le masseur, qui va souvent travailler à genoux ou en fente, au-dessus du massé. Cette posture autorise le masseur à utiliser tout son poids et à venir exercer des pressions verticales dans l’axe du corps du massé. Toutes choses quasi impossibles sur une table de massage. Sauf à ce que le masseur monte sur la table.
© Joël Massage Bastia Corse www.joel.mic.fr
Cet article de mon blog n’engage en aucun cas la Fédération française de massage. Et ne convoque en rien mes fonctions de vice-président de la FFMBE.