Entre les modeleurs des SPA et les kinésithérapeutes du système de santé, il existe un univers de pratiques de massage, dont certaines sont issues de thérapies millénaires. Ceux qui empruntent ce chemin exigeant se revendiquent légitimes et uniques propriétaires du terme « massage ». De même qu’ils se réclament de l’appellation de « massothérapeutes ».
Que désigne le terme « massage » et à quelles pratiques renvoie-t-il ? Existe-t-il différentes interprétations possibles et celles-ci peuvent-elles conduire à un procès en légitimité ? Ma réponse est que NON, le mot « massage » est sans ambiguïté et j’affirme que seuls les masseur·se·s sont légitimes à s’en revendiquer. Faire cette démonstration nécessite, d’une part, d’identifier ce qui fait l’essence d’un massage et, d’autre part, à mettre en évidence que seuls les masseur·se·s s’inscrivent dans cette pratique. Pour ce faire, je renvoie dos à dos les modeleurs de SPA et les kinésithérapeutes afin de les placer en dehors du champ du massage.
Un massage procède de la rencontre de deux intentions
Il existe un grand nombre de pratiques de massage, dont les modes opératoires et les philosophies sont parfois très éloignées les unes des autres. Elles se rejoignent pourtant sur quelques fondamentaux qui en sont l’essence. Le premier d’entre-eux est sans nul doute la « double intention » : celle du massé d’une part, celle du masseur d’autre part. Lors d’un massage, le masseur projette une intension dans son geste. Selon les cas, il entend donner du bien-être, détendre, drainer ou dynamiser. Le masseur a choisi une pratique, une technique, parce qu’elle donne du sens à sa démarche et est conforme à son ressenti. Pour sa part, le massé reçoit ce geste et l’interprète à l’aune de ses propres attentes : il s’agit, selon les cas, de combler un vide, ou de satisfaire un besoin. Nulle contradiction dans ces deux niveaux de ressentis. L’intention du premier peut être différente de celle du second. La magie du massage réside dans l’alchimie entre ces deux registres.
À l’inverse, dans le geste d’un kinésithérapeute, fusse-t-il apparenté à un geste de massage, il n’y a qu’une seule intention, qui va du kiné vers le massé : une intention thérapeutique ciblée. Ainsi s’impose l’expression gestuelle d’un « sachant », détenteur d’une faculté qui tire sa légitimité de la Faculté, et qui n’a que faire du ressenti du « patient ».
À l’inverse également, dans le geste du modeleur de SPA, il n’y a aucune intention : le geste est le plus neutre possible, de l’ordre de la papouille. Il laisse au massé le soin de positionner le curseur de son ressenti. Le modeleur de SPA délivre un message adossé à une mythologie du bain et de la beauté, ou tous autres « thermes ». Il ne prend nul risque de sortir de sa posture de bienveillante neutralité. À charge pour le massé de faire avec ce qu’il ressent afin de l’emboîter dans la forme préétablie du mythe qui lui est servi. Le modeleur ne délivre pas un massage, mais l’idée mythifiée et mystifiée d’un massage.
Un massage s’inscrit dans une vision holistique
Il y a un monde entre un massage ayurvédique et un massage suédois. Pour autant les deux pratiques ont pour point commun qu’elles engagent le corps dans son entier et jouent sur plusieurs registres simultanés, relevant des sphères physiologique, énergétique et émotionnelle. Cette approche holistique par l’espace (le corps dans son entier) et par l’intention (les différents registres corporels) est caractéristique de l’esprit du massage. Les masseurs agissent dans le cadre d’une représentation systémique, voire pluri-systémique, du corps. Ils savent toucher la chair pour effleurer l’âme, tâter le muscle pour libérer l’énergie, dénouer les fascias pour libérer le Qi, travailler l’interne pour libérer l’externe. En ce sens, le massage n’est pas un geste thérapeutique, mais une thérapie globale qui procède tout autant de la guérison du massé par lui-même que par le masseur. Un massé qui sait, mieux que quiconque, la nature de ses maux et qui co-détient, avec le masseur, les clefs de sa santé.
Ce n’est pas le cas des kinés, dont la démarche thérapeutique consiste à aller droit au but, le cas échéant en ramenant la maladie au niveau du symptôme. Peu leur importe si la fracture résultait d’une usure, qui elle-même héritait d’une posture, prenant son origine en un organe interne défaillant… On leur a donné à rééduquer un bras, ils n’ont que faire de vos intestins. Le geste des kinés est certes thérapeutique, mais ne saurait en aucun cas mettre en jeu une thérapie globale.
Ce n’est, non plus, le cas du modeleur de SPA, pour qui l’épiderme est la seule partie visible du corps, donc la seule qui fait symptôme, donc la seule dont il convient de se préoccuper. La seule thérapie que vise un modeleur est celle de l’apparent, donc de l’apparence. Au risque de confondre cure et récurer.
Ni les kinésithérapeutes ni les modeleurs ne sont masseurs. Tout au plus usurpateurs de l’idée du massage.
Dans tous nos univers, qu’ils soient époques ou espaces, qu’il s’agisse du Canada d’aujourd’hui, du Japon d’hier ou de l’Inde de jadis, les sciences médicales reconnurent et reconnaissent au massage une place légitime sur la carte des chemins de santé. Ce sont alors les médecins eux-mêmes qui, à l’instar d’Hippocrate jadis, intègrèrent le massage dans la palette des possibles accompagnements thérapeutiques. Il n’est qu’en France pour que les carabins nous carabinent. Il n’est qu’en France pour que les pouvoirs publics abandonnent à quelques lobbys, des thermes ou de la médecine, le droit de s’accaparer la symbolique du mot massage.
En contrepieds des lobbys réfractaires, voici donc tracé notre chemin d’avenir : promouvoir une conception holistique d’un massage qui se veut tout autant rencontre que contact, et au service d’une santé globale. Une ambition qui nous oblige. Une ambition qui implique une formation de qualité ; le respect d’une stricte déontologie ; une mise en œuvre irréprochable et une bienveillance sans restriction.
Nous, masseur·se·s, nous revendiquons légitimes et uniques dépositaires de l’héritage de savoirs et de cultures que représente le terme « massage ». Et la prochaine étape nous verra revendiquer un espace légitime pour la « massothérapie ».
© Joël Demasson – Joël Massage Bastia Corse – www.joel.mic.fr
Cet article de mon blog n’engage en aucun cas la Fédération française de massage. Et ne convoque en rien mes fonctions de vice-président de la FFMBE.